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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

Hannah Arendt s'est trompée à propos d'Eichmann et de la banalité du mal

Eichmann-banalite-du-mal.jpgAlbert Einstein nous livra, à propos du mal, l’énoncé suivant : « Le monde est un endroit redoutable. Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, qu’à cause de ceux qui voient le mal et ne font rien  pour l’en empêcher. » Ainsi, le mal ne serait pas conditionné exclusivement à l’action, la passivité y contribuerait également. Imaginons une femme victime d’un agresseur, appelant à l’aide, et quelques individus assistant à la scène et ne répondant pas à ses appels, feignant l’occupation pour ne pas intervenir. Qui sont les plus condamnables ? L’agresseur ? Les spectateurs ? Les deux ? Le fait qu’aucune personne ne vienne prêter assistance à une victime représente ce que la psychologie sociale appelle « l’effet témoin ». Ce concept nous dit que chaque témoin est persuadé que parmi ceux qui comme lui assistent à la scène criminelle, quelqu’un d’autre que lui interviendra et qu’il n’est donc pas nécessaire de s’interposer. Il ne s’agit pas tant de lâcheté que d’un phénomène psychologique inhérent au groupe, lequel entraîne une dissolution de la responsabilité individuelle. Dans l’exemple, le groupe est involontaire. Mais lorsque plusieurs individus décident de se réunir pour ensemble viser un ou plusieurs objectifs, d’autres dynamiques se créent. L’une d’elle est la conformité, à savoir que chaque membre du groupe adapte sa conduite personnelle en référence à la volonté commune. Que cette volonté soit construite et partagée par tous, chaque membre alors se conforme. Que cette volonté soit l’apanage de quelques-uns ou d’un seul, les autres dès lors s’y soumettent. Peuvent-ils alors être déclarés responsables des effets induits par une volonté à laquelle ils ne participèrent pas quant à définir son contenu ? Peut-on être coupable d’avoir été soumis ? Lors de son procès en 1962, Adolph Eichmann, ancien haut-fonctionnaire nazi, se défendit de la sorte devant ses juges, en affirmant qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres, qu’il s’était soumis à la volonté de ses supérieurs hiérarchiques. Hannah Arendt couvrit l’évènement pour le New York Times. La philosophe conclut que tout individu ordinaire peut se rendre responsable des pires agissements sans être par nature un monstre. Cette conclusion, elle la résume dans les termes suivants : « la banalité du mal ». Un fonctionnaire zélé pourrait ainsi devenir le rouage essentiel d’une machinerie étatique visant à exterminer une partie de l’humanité, sans que ce fonctionnaire ait des antécédents crapuleux, ni une appétence pathologique à faire le mal. La soumission serait suffisante. Mais les dernières recherches historiques sur les hauts responsables nazis tendent à démontrer qu’Hannah Arendt s’est trompée au sujet d’Eichmann. Celui-ci en effet était un antisémite notoire et il a fait plus qu’exécuter des ordres, il a pris des initiatives. Comme lui, d’autres responsables de l’extermination des juifs ont été plus que de simples exécutants, ils se sont investis et accomplis dans l’entreprise exterminatrice. Et s’ils ont agi de la sorte, c’est parce qu’ils étaient animés par une idéologie, et non un idéal, mais aussi par une morale. Aussi abominables que soient leurs crimes, les nazis, comme d’autres bourreaux de masse ensuite, au Rwanda, ou encore en Serbie, agirent moralement, c’est-à-dire conformément à ce qu’ils pensaient être bien. Les massacres de masse ne sont pas de la perversité, ni le résultat d’une soumission aveugle. Ils résultent d’une mise en conformité par rapport à un contexte donné, selon une pensée meurtrière à laquelle les exécutants adhèrent et en font une éthique. Et le groupe fondée par cette adhésion est un instrument de dynamique collective, qui diminue chez l’individu le sentiment de responsabilité personnelle et permet ainsi de commettre les pires atrocités.  

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A
<br /> Vous vous trompez complètement, et sur la thèse d'Hannah Arendt et sur les massacres de natures différentes : les massacres de masse accomplis avec passions au nom d'une croyance, tradition ou<br /> représentation quelconque -Rwanda- et les systèmes totalitaires qui fonctionnent à la terreur à laquelle participent les individus sans état d'âme car sans penser, sans s'interroger, sans juger,<br /> sont deux choses distinctes et que précisément Arendt permet de distinguer avec les critères qu'elle introduit.<br /> <br /> Vous n'avez pas compris qu'elle analyse la logique de l'extermination comme système auquel participe Eichmann -ce point ne se discute pas, il en est un des principaux responsables, initiateur même<br /> et il est hors de question d'accepter comme excuse sa défense : je n'ai fait qu'obéir aux ordres, en l'occurrence le Führerprinzip- comme responsable donc qui refuse d'assumer la moindre<br /> responabilité ET qui ne ressent aucune culpabilité après-coup, comme ce fut le cas pour tous les hauts responsables nazis lors de leur procès.<br /> <br /> Elle interroge l'énigme de cette absence de culpabilité et de cette absence de reconnaissance de ses responsabilités, sachant que la reconnaissance de sa responsabilité et la dimension de sa<br /> culpabilité est ce sur quoi s'appuie la justice dans tout procès.<br /> <br /> Elle a donc analysé ce qui fait l'énigme d'une telle attitude, qui est au rebours de toute justice et la rend impossible. Et elle l'explique par la banalité d'individus absolument ordinaires se<br /> refusant absolument à penser leurs actes: des individus sans pensée, conformistes à l'extrême, susceptibles de suivre n'importe quelle logique sans s'interroger[faisant appel à la nécessité de se<br /> conformer à de soi-disant nécessités d'ordres venus d'en haut comme s'ils équivalaient à des lois ; et comme si eux-mêmes n'avaient aucune part dans les événements, comme s'ils n'avaient pas de<br /> part active, comme s'ils avaient perdu toute capacité de jugement.<br /> <br /> C'est cela la banalité du mal : l'absence de pensée et le refus de juger, le refus de quelque responsabilité que ce soit dans ses actes, par absence de la moindre interrogation et distance prise<br /> qui pourtant caractérise un être libre (l'homme doué de logos ...) Comme s'ils ne pouvaient que agir mécaniquement, sans s'interroger , se soumettre à n'importe quel système, comme un robot sans<br /> état d'âme, ou un fonctionnaire dépourvu de la capacité de penser.<br /> <br /> On est exactement aux antipodes des passions déchaînées de masses en furie laissant exploser leur violence.<br /> <br /> L'horreur du nazisme est qu'il s'agit d'un système inédit, qui fonctionne à la mobilisation d'une bureaucratie sans âme et au conformisme du fonctionnaire qui n'a qu'à mettre le tampon (même<br /> question posée avec Papon).<br /> <br /> <br /> Vous faîtes un contre-sens total sur Arendt et en venez à une idée assez désastreuse en attribuant à ces hauts-responsables nazis -à distinguer de ceux qui étaient les petits rouages du systèmes<br /> pris dans la terreur- qu'ils ont agi conformément à une idée morale , parce qu'ils croyaient que c'était bien, validant ainsi et adhérant à la thèse perverse de Eichmann se réclamant de Kant. Comme<br /> s'ils n'étaient pas capables de juger du bien et du mal.<br /> <br /> Non, ils ne l'ont pas fait, ils n'ont pas jugé, ce qui est est précisément leur faute, inexcusable, car être kantien c'est juger et savoir que chacun a en soi la capacité de juger. Tandis que<br /> s'abriter derrirèe Kant est pervers. Kant apprend le contraire de l'excuse par l'irresponsabilité , exactement.<br /> <br /> Tout au contraire d'un jugement moral et politique ayant considéré où était le bien qui les auraient fait agir, les nazis ont été des hommes sans pensée, ils se refusant à juger.<br /> <br /> Le contre-sens ne peut être plus total.<br /> <br /> Vous devriez relire Arendt et réfléchir à deux fois à la perversité de Eichmann évoquant Kant et la loi morale -volontairement confondue avec le Führerprinzip qui en prend la place- pour justifier<br /> après-coup son obéissance (aux ordres du chef, pas à la loi, ce qui est bien différent)et n'éprouvant aucune culpabilité, contrairement au principe sur lequel reposent la loi morale, comme la loi<br /> civile et l'idée de justice, à savoir le principe de responsabilité de ses actes qui fait le sujet de droit comme le sujet moral.<br /> <br /> <br />
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B
<br /> Un titre assez racoleur, pour une démonstration loin d'être à la hauteur des enjeux.<br /> Un peu de modestie, que diable!<br /> <br /> <br />
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D
<br /> Votre billet est la démonstration qu'elle avait ... raison. Vous décrivez parfaitement le mécanisme de cette horrible banalité : l'adhésion de tous à la machine de destruction quelles que soient<br /> les convictions de chacun. Sa critique portait aussi sur le choix de juger Eichmann en Israel par des juifs seuls et non par l'humanité entière. (les crimes de l'Allemagne nazie contre les juifs<br /> sont des crimes contre l'humanité entière).<br /> <br /> <br />
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