11 Août 2010
« Bref, nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois entre l’œuvre et l’artiste ». (Bergson – Essai sur les données immédiates de la conscience). Bergson définit dans cet extrait ce qu’est pour lui la liberté, s’agissant d’une définition singulière, s’écartant à la fois de la thèse classique sur le libre-arbitre et du déterminisme. Cette originalité s’apprécie notamment dans l’association que le philosophe réalise entre l’acte libre et l’œuvre de l’artiste. En effet, Bergson considère avant tout que la liberté est affaire de création, comme il en est de même pour l’art, et non le résultat d’un choix entre des éléments existants. Etre libre, c’est ne pas choisir ce qui est possible, ce sur quoi repose la pensée du libre-arbitre, mais transformer ce qui est. Et par la même occasion, ce procédé de transformation du réel induit une transformation de soi, tout comme l’artiste existe à travers son œuvre, et non comme un producteur d’art. Bergson considère également qu’il n’y a pas lieu de diviser la personne en deux, en distinguant le corps et le caractère, mais que chacun est un moi et un seul : « Notre caractère, c’est encore nous ; et parce qu’on s’est plu à scinder la personne en deux parties pour considérer tour à tour, par un effort d’abstraction, le moi qui sent ou pense et le moi qui agit, il y aurait quelque puérilité à conclure que l’un des deux moi pèse sur l’autre ». Bergson est moniste, contrairement à Descartes, ce qui influence sa pensée à propos de la liberté. Un acte libre est celui qui engage la personne en entier, sans dissociation particulière car aucune, selon lui, n’existe, s’agissant de pensée abstraite qui ne résiste pas à la réalité. En outre, contrairement à Spinoza et au déterminisme, il ajoute que tout homme est sa propre cause, et qu’ainsi ses actes, à condition qu’il soit investi, relèvent de sa liberté. Certes, il poursuit l’idée de Spinoza qui énonçait que tout acte est libre s’il échappe à toute cause extérieure. Mais il attribue cette faculté d’échappement à l’homme, contrairement à Spinoza qui n’accorde cette capacité qu’à la Nature, considérant celle-ci comme le Tout où rien n’existe en dehors. Bergson admet évidemment que l’environnement n’est pas sans conséquence sur l’individu, mais toue influence extérieure sur le caractère serait consentie et non subie. Il s’agit là d’une appropriation du moi, et non une superposition sur ce qui nous caractérise, comme l’explique Bergson : « Certes, notre caractère se modifie insensiblement tous les jours, et notre liberté en souffrirait, si ces acquisitions nouvelles venaient se greffer sur notre moi et non pas en lui. Mais dès que cette fusion aura lieu, on devra dire que le changement survenu dans notre caractère est bien nôtre, que nous nous le sommes appropriés ». Ainsi, la liberté selon Bergson existe lorsqu’elle est créatrice, et non par l’exercice d’un choix, et résulte d’un engagement tout entier de soi tourné vers cette création, engagement comprenant l’ensemble des influences extérieures devenues des traits caractériels parce qu’ils nous appartiennent. Autrement dit, en créant, l’homme est capable d’être sa propre cause, et ainsi d’être libre.