7 Novembre 2010
On parle de devoir de mémoire, mais de quoi s'agit-il exactement ? La mémoire est une faculté permettant d'avoir conscience au présent de ce qui n'est plus. C'est un retour au passé, une visée sans matière, la mémoire se fournissant de souvenir. La mémoire est aussi oubli ; pour se souvenir, il faut oublier, c'est-à-dire ne pas avoir conscience en permanence de ce qui a été. Et puis la mémoire est sélective. Tout n'est pas retenu, fort heureusement, sinon l'existence serait insupportable, voire impossible. C'est une conduite de vie que d'oublier, parce que vivre c'est à la fois accorder de l'importance et négliger, s'engager ou passer son chemin. La mémoire participe de ces directions, sans recours à la volonté. On oublie sans conscience. Alors, peut-on exiger de faire de la mémoire un objet de devoir ? En d'autres termes, la mémoire peut-elle être vertueuse ? Non, car nous l'avons dit, elle est une faculté. Que dirions-nous alors de ceux qui perdent la mémoire si celle-ci était considérée comme une vertu...Ce n'est donc pas la mémoire qui est assujettie au devoir, mais l'acte volontaire de ne pas oublier. Même si les souvenirs sont fuyants, il est possible volontairement d'éviter l'oubli d'un fait précis, et cette possibilité devient nécessité avec le devoir. Cela implique de sélectionner ce qui est impérativement nécessaire d'être retenu. Obliger à se souvenir de tout reviendrait à n'accorder aucune valeur à toute survivance, alors que le devoir de mémoire est justement destiné à valoriser ce qui est choisi pour être souvenu. Le devoir de mémoire reconnaît ainsi une grande oeuvre, mais il consiste aussi et surtout à ne pas oublier ce qui a été fait, afin de prévenir la collectivité des drames qu'elle a connu pour s'en préserver à l'avenir.