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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

Quand l'opinion publique remplaça Dieu pour exercer le pouvoir

Opinion-publique.jpgLa philosophie politique s’est beaucoup interrogée sur la légitimité du gouvernement. Elle distingua différentes formes du pouvoir : monarchie, aristocratie, oligarchie, démocratie. Concernant celle-ci, Aristote reconnaît qu’elle est la plus égalitaire de toutes. En effet, dans un système démocratique, celui qui est gouverné aujourd’hui peut être gouvernant demain, et celui qui gouverne, un jour sera gouverné. Cependant, Aristote nous avertit que la démocratie est corruptible. La menace s’appelle la démagogie, qui consiste à exercer le pouvoir selon les passions des foules. Il s’agit pour le démagogue de répondre aux désidératas des gouvernés, dans l’immédiat, et ceci pour légitimer son action. Il est ainsi question de gouverner avec l’opinion publique, ce qui présente, comme Aristote le nota, un danger, car la démagogie n’hésite pas à satisfaire les instincts les plus bas, comme la vengeance par exemple, au détriment de ce qui est juste. Qu’un enfant soit assassiné et le peuple réclame la tête du coupable, peu importe d’ailleurs qu’il ne s’agisse que de présomptions, tout cela avant que la justice soit rendue. Le démagogue ne dit pas autrement, il se fait l’écho de l’émotion générale, jusqu’à même l’attiser, nonobstant tous les principes en matière de séparation des pouvoirs. Toute ressemblance avec des gouvernants actuels ne serait peut-être pas purement fortuite…Mais alors, si le politique s’adosse à l’opinion publique, il est important de comprendre ce qu’est cette dernière. Qu’est-ce donc que l’opinion publique ? Rousseau nous donne un premier indice, dans Du Contrat social : « Il y a bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun, l’autre regarde à l’intérêt privé, et n’est qu’une somme de volontés particulières. » Rousseau distingue donc la volonté générale de l’addition des volontés individuelles. La première vise le bien commun, la seconde est impossible. Les opinions personnelles sont en effet avant tout opposables entre elles ; elle s’annulent bien plus qu’elles se somment. Comment dès lors constater une opinion publique ? Ne s’agit-il pas d’une illusion manipulatrice pour faire de la politique démagogique ? N’y-a-t ‘il pas trop de différences entre les uns et les autres pour qu’un consensus se forme et entraîne toute entreprise gouvernementale ? L’opinion publique semblerait être plus un instrument politique. Elle est construite, aujourd’hui à coups de sondages, sur un thème choisi par le politique, qui ensuite n’a plus qu’à prendre la position préparée en conséquence. L’opinion publique en soi n’existe pas, ce que nous dit Pierre Bourdieu : « L’homme politique est celui qui dit : « Dieu est avec nous ». L’équivalent de « Dieu est avec nous », c’est aujourd’hui « L’opinion publique est avec nous ». Tel est l’effet fondamental de l’enquête d’opinion : constituer l’idée qu’il existe une opinion publique unanime, donc légitimer une politique et renforcer les rapports de force qui la fondent ou la rendent possible. » Faire de l’opinion publique pour gouverner est une instrumentalisation de l’action politique pour assoir un pouvoir devenu personnalisé. Le bien commun, la volonté générale chère à Rousseau, ne sont pas dans la ligne de mire du démagogue. Ce qui compte avant tout pour lui, c’est de durer, quitte à détourner l’action publique. Gouverner n’est pourtant pas cela. La volonté générale ne peut pas être, nous l’avons dit, la somme des intérêts particuliers. Elle est bien plus la soustraction de toutes les oppositions pour atteindre une intention commune. Il serait ainsi bien plus opportun, et surtout honnête, de favoriser aujourd’hui l’émergence d’une volonté générale, que de construire des opinions publiques.

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